Ordonnance en indication de mesures conservatoires dans l'affaire Guinée équatoriale c. France (2025) : la Cour internationale de Justice à la recherche de l'économie des moyens
12 septembre 2025

Vendredi 12 septembre 2025, la Cour internationale de Justice a rendu son ordonnance en indication de mesures conservatoires dans l'affaire de la Demande concernant la restitution de biens confisqués dans le cadre de procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) [1].
Sans surprise, elle a rejeté la demande de mesures urgentes présentée par la Guinée équatoriale. En revanche, le raisonnement par lequel elle y parvient est notable. Au §36, la Cour, après avoir rappelé que l'indication de mesures conservatoires n'était possible que si plusieurs conditions cumulatives étaient remplies, précise pour la première fois, à ma connaissance, que "La Cour n’est pas tenue de suivre un ordre particulier dans son examen de ces conditions et, en l’espèce, elle estime qu’il convient de commencer par la question de savoir si les droits dont la Guinée équatoriale recherche la protection sont plausibles". Dans l'ordonnance du 13 juillet 1973 dans l'affaire Procès de prisonniers de guerre pakistanais (Pakistan c. Inde), la Cour avait aussi rejeté une demande sans examiner sa coméptence, mais le contexte était très différent et la Cour concluait précisément, §16, qu'il lui fallait "d'abord s'assurer qu'elle a[vait] compétence"[2]. Il lui a ici suffi d'examiner ce critère pour rejeter la demande en indication de mesures conservatoires.
La Cour s'autorise donc aujourd'hui à ne pas examiner si elle est compétente prima facie, pour directement traiter au fond - certes par le rejet - une demande en indication de mesures conservatoires. Elle avait fait de même dans l'ordonnance du 23 mai 2024 dans l'affaire Ambassade du Mexique à Quito (Mexique c. Équateur)[3], en rejetant pour défaut d'urgence la demande alors même que l'Équateur (comme la France ici) contestait la compétence prima facie de la Cour ; mais ce rejet était surtout fondé sur des assurances données par l'Équateur "sans préjudice" des questions de compétence.
Ce raisonnement relève de l'économie des moyens : puisque la requête est manifestement mal fondée quant au critère de la plausibilité des droits allégués (critère d'ailleurs établi par la Cour elle même dans l'affaire Belgique c. Sénégal en 2009[4]), il n'est pas utile de s'apesantir sur les étapes qui précèdent généralement l'analyse de la plausibilité. Or, ces étapes généralement préalables ne sont pas neutres, puisqu'il s'agit de la compétence prima facie de la Cour. Même si celle-ci n'est établie que "prima facie" et donc pas définitivement, la compétence a généralement priorité sur les autres questions. On peut s'interroger sur les conséquences de son éviction du raisonnement, qui pourrait affaiblir la portée de ce critère fondamental - mais le danger me semble faible.
On peut peut-être y voir une réponse à un possible malaise grandissant, à la Cour, s'agissant d'un examen prima facie qui ressemble de plus en plus à celui de la compétence "tout court", et soulève des difficultés de cohérence contentieuse et jurisprudentielle. S'autoriser à ne pas étudier la compétence prima facie pour traiter au fond une demande de mesures conservatoires revient effectivement à distinguer plus clairement compétence prima facie (qui peut donc ne pas être étudiée, à condition qu'il soit manifeste que la demande doive être rejetée pour un autre motif) et compétence (qui doit absolument être établie). On peut aussi et surtout y voir une volonté, pour la Cour, d'accélérer ses travaux en introduisant une logique systématique d'économie des moyens. La décision inédite de rayer du rôle, au stade des mesures conservatoires, l'affaire de l'Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide au Soudan (Soudan c. Émirats arabes unis) le 5 mai dernier[5] plaide dans le même sens : la Cour est surchargée et doit travailler plus vite et plus efficacement...au risque de froisser les États qui la saisissent pour médiatiser leur situation, et voient leur requête peu fondée en droit écartée quelque peu sèchement par la Cour.
Notes
[1] CIJ, Demande concernant la restitution de biens confisqués dans le cadre de procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), Ordonnance du 12 septembre 2025, Demande en indication de mesures conservatoires, rôle général n°184 (Lien vers l'ordonnance).
[2] CIJ, Procès de prisonniers de guerre pakistanais (Pakistan c. Inde), Ordonnance du 13 juillet 1973, Demande en indications de mesures conservatoires et fixation de délais: mémoire et contre-mémoire, CIJ Rec. 1973, p. 328 (Lien vers l'ordonnance).
[3] CIJ, Ambassade du Mexique à Quito (Mexique c. Équateur), Ordonnance du 23 mai 2024, Demande en indication de mesures conservatoires, CIJ Rec. 2024, p. 613 (Lien vers l'ordonnance).
[4] CIJ, Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), Ordonnance du 28 mai 2009 Demande en indication de mesures conservatoires, CIJ Rec. 2009, p. 139, §57 (Lien vers l'ordonnance).
[5] CIJ, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide au Soudan (Soudan c. Émirats arabes unis), Ordonnance du 5 mai 2025, Demande en indication de mesures conservatoires, Rôle général n°197 (Lien vers l'ordonnance).